film fleur amis france background homme histoire annonce jeux cadeau film fleurs livre gratuit jardin afrique voiture livres pensées cadeaux concours mort rouge image vie merci moi monde bonne roman revenu
Rubriques
>> Toutes les rubriques <<
· Parcours perso (suite 2) (1)
bonjour. je suis b.b j habite à kenenda relizane algérie je cherche des villes photos de mon village..ci il y
Par Anonyme, le 13.06.2023
bonjour avez vous des photos de le region de palistro-miner ville
Par Anonyme, le 20.09.2022
émouvant le père de françois de l'espinay un prêtre du temps de son passage a beauvoir sur mer qui ma fait réc
Par lysiane barreteau, le 21.12.2021
merci à jacques pour son blog que j'ai lu assidûment et qui est bien argumenté.
m oi je suis arrivé en algéri
Par Anonyme, le 20.10.2021
je m'appelle jennifer leroi veuve française née le 16 juin 1952. je dispose sur un compte bloqué à la banque b
Par belleto, le 24.07.2020
· Des prêtres embarqués comme marins-pêcheurs
· Appelés en Algérie, 1956 & après : I
· TROIS GUERRES AU XX° SIECLE / LETTRES DE SOLDATS
· 1956 Lettres d'un soldat rappelé dans la guerre d'Algérie
· OCEAM aux Sables d'Olonne à la tour d'Arundel
· MAL DE MER
· solitudes
· SAUVER LA MER
· Le temps des soldats rappelés pour la guerre en Algérie
· Joseph Fonteneau, naufragé au large de l'Espagne
· Aumôniers des gens de mer et prêtres marins
· coexister
· Trois marins pêcheurs rescapés d'un naufrage
· Tous dans le même bateau
· Appelés en Algérie, 1956 & après. II
Date de création : 15.05.2012
Dernière mise à jour :
12.01.2020
73 articles
TROIS GUERRES AU XX° SIECLE
Lettres de soldats à leur famille.
Trois guerres au XX° siècle pour trois générations : 14-18, 39-45 et la guerre d’Algérie. On a magnifié les exploits ou l’abnégation des hommes au combat. On les célèbre au fronton des bâtiments publics, des monuments aux morts, des places et des rues. Mais la souffrance des familles, marquée par la séparation, rongée par l’inquiétude quotidienne, qui la dira encore ?
Une correspondance, oubliée au fond d’une vieille valise, en sauvegarde quelques éléments. Cette femme, Angèle (1908-2001) a reçu beaucoup de lettres venant du front, d’Allemagne, d’Algérie. Elle a 6 ans quand son père pour la guerre, A l’âge adulte, elle voit son mari partir pour 5 ans et demi de guerre en 1939. Et deux de ses fils, pour 5 ans au total, à partir de 1956, dans la guerre d’Algérie.
Beaucoup de familles ont subi le même sort dans la douleur de la séparation, l’inquiétude de tous les jours et l’espoir d’un retour proche, mais si lointain et incertain. Ici un père, un mari, des enfants . Ils s’appellent Pierre en 1914, Fernand en 1939, Claude et Guy en 1956 et 1958.
D’abord un papa Pierre Boudeaud, durant la guerre de 1914-1918.
Pierre était ordonnance d’un officier dont il avait la confiance. Sur une carte postale, le 31 mai 1916 il écrit : « Ma chère petite Angèle, apprends bien vite à lire, à écrire et à compter, pour rester avec maman, l’aider dans son travail et la ménager ».
D’Angèle, après sa première communion: ‘Mon cher Papa, A l’occasion de la grande fête que nous avons eu hier, je ne peux m’empêcher de vous joindre une petite carte pour vous dire mon affection : surtout que j’étais accompagnée que par maman, et sans mon papa. j’ai prié Dieu, de tout cœur de vous préserver et de finir cette guerre qui nous fait tant souffrir. Votre petite fille qui vous aime et vous embrasse. Angèle Boudeau. Sans doute la plume était-elle tenue par la maman.
L’armistice a été signée le 11 novembre mais le papa n’est pas encore été démobilisé, elle lui écrit : « la Turpinière le 28 décembre 1918. Mon cher papa Je viens vous offrir mes meilleurs vœux pour la nouvelle année, une bonne santé, que le petit Jésus vous ramène avec nous le plus tôt possible. Cher papa, j’ai oublié de mettre mes sabots dans la cheminée et le petit Jésus m’a oublié. J’ai été à la messe de minuit à St Michel(Mont Mercure : 6 kms à pied). Nous avons eu beau à faire notre voyage ; il faisait des étoiles, nous avions des lanternes. Cher papa, je vous embrasse. »
--------------------------------------------------
Fernand BABARIT à son épouse, Angèle.
Guerre de 1939-1945. Du canonnier de la 15° Batterie au prisonnier du Stalag IV C.
La guerre est déclarée le 2 Septembre 1939. Fernand est mobilisé dès le deuxième jour, car il fait partie de la première réserve. A Pouzauges, le train pour rejoindre Vannes, par la Roche sur Yon et Nantes.:
4 septembre 1939 : Ma chère Angèle... Nous sommes arrivés ce matin en gare de Vannes. On nous a conduits à pied dans une ferme, près de Meucon. Nous y avons touché l’habillement. A présent nous sommes en tenue. Je suis avec des bretons qui m’ont l’air d’être des types charmants. L’on part vers la frontière samedi prochain : je serai conducteur pour un canon de 155.
Mardi 5 septembre : Aujourd’hui je suis employé à la réquisition des chevaux pour trainer les canons. C’est la formation d’un régiment : le 218° d’artillerie lourde.
7 septembre : Le régiment est formé ; nous avons touché les canons et les munitions. Nous allons quitter Meucon pour une direction inconnue. Il fait très chaud. Dans le patelin où nous sommes, l’on boit du cidre à 20 sous le litre. Tous des hommes de 25 à 35 ans. L’on monte tous les jours à cheval et il faut faire 3 kilomètres pour mener les chevaux à l’abreuvoir.
Dimanche 11 septembre : Aujourd’hui il y avait une messe spéciale à 11 heures pour tous les militaires du 218°, messe dans une église comble, chantée par un prêtre mobilisé, Dans ce régiment nous sommes environ 2000 hommes, avec 1500 chevaux pour 80 canons. (8 chevaux pour traîner chaque canon).
Meucon 12 septembre : Nous embarquons ce soir à Vannes à 9 heures. Le départ sera à 3 heures du matin dans une direction inconnue. Pour transporter notre régiment, il y faut 9 trains. J’espère que le petit Claude (4 ans) dit tous les jours une prière pour son papa, ainsi que toi, ma chérie. Celui qui t’aime pour la vie. Fernand.
Vendredi 15 septembre : Nous avons quitté Vannes mardi soir. Nous avons roulé par le train, deux jours et trois nuits. Nous sommes stoppés au milieu de collines et de bois. Pour le moment nous sommes tranquilles.
Dimanche 17 septembre : Il y avait la messe dans la chapelle du patelin. Sinon tous les jours, le même travail, l’avoine, le foin et l’abreuvoir pour les chevaux.
Lundi 18 septembre : Je viens de recevoir tes deux lettres, avec la photo de Claude, comme ça il me semble l’avoir plus près de moi. Je voudrais avoir les photos de vous tous. Tu me demandes si j’ai besoin de colis : pour l’instant l’on « becte » à peu près bien, et comme nous ne sommes pas stables un colis pourrait s’égarer. Nous nous déplaçons beaucoup. Nous avons passé la nuit dernière sur les routes à rouler nos canons, ce n’est pas le filon, mais on commence à s’y habituer. L’on ne s’en fait pas trop. J’ai confiance en la Providence.
Mercredi 20 septembre : Ce midi je viens de répondre aux trois lettres que je viens de recevoir à l’instant. Tu me demandes s’il y a des copains qui sont proches de chez nous. Il y en a plusieurs. .. Pour ce qui est de mes effets civils, ils sont restés à Vannes dans un magasin du régiment. Le chef devrait s’occuper de les faire parvenir à domicile. Ici nous voyageons beaucoup, d’étape en étape, nous visitons beaucoup de pays, comme des touristes sauf que c’est la guerre. Il nous est complètement interdit de dire où nous sommes. Mes plus tendres baisers à Claude et à Guy, pour moi.
Vendredi 22 septembre : C’est un patelin où les gens nous « voient » très bien et l’on a tout ce que l’on veut. Il fait un temps superbe. Nous couchons sur le foin dans une grange où l’on dort très bien. Je t’envoie un certificat à faire signer par le maire, afin que tu touches l’allocation qui devrait être de 7 francs par jour pour toi, et de 2, fr 50 par enfant. Embrasse la maisonnée à ma place.
Dimanche 24 septembre : Aujourd’hui dimanche, encore une triste journée à passer. Le boulot, comme d’habitude. Ce matin je suis allé à la messe de 7 heures à l’église du bourg : elle était remplie de militaires. C’est un réconfort. Depuis 4 jours nous n’avons pas bougé. Nous dormons toujours sur le foin, dans une grange : une belle ferme moderne, avec l’électricité et des conduites d’eau à portée de main. En ville, moyennant finance, nous pouvons nous procurer ce dont nous avons besoin. Tu me demandes si j’ai besoin d’un colis. Envoie-moi, si tu veux, un peu de beurre : cela me servira pour le déjeuner du matin, car l’on n’a qu’un quart de café avec un peu de pain. Pour les autres repas, ça va à peu près. Nous allons aller aux douches ; voilà trois semaines qu’on ne s’est pas déshabillé !
Mardi 26 septembre : Réponse aux deux cartes du 18 et du 19 ; je t’écris à demi les jours. Est-ce que tu les reçois toutes ? Tu me dis que le chantier de la route devant la maison sera bientôt terminé. Aujourd’hui, à plusieurs copains nous allons travailler dans une ferme pour arracher les pommes de terre, car beaucoup d’hommes d’ici aussi sont mobilisés. Chez vous, vous n’aurez pas d’hommes de troupes pour votre travail. Enfin viendra le temps…
Mercredi 27 septembre: Pour l’instant pas de coup dur en vue, mais un de ces jours cela va changer ; ils auront besoin de nous là-haut ; notre régiment ne sera quand même pas en première ligne. Soi-disant que nous sommes un régiment de couverture, en troisième ligne. Nous aurons devant nous l’infanterie, le Génie, les chars d’assaut et l’artillerie légère. Nous appartenons à la 22° division. Je crois que c’est le général Gain que tu connais bien, du Mesnil (à la Flocellière), qui la commande.
Jeudi 29 septembre : Hier soir nous avons changé de patelin en voyageant une partie de la nuit par un temps superbe, très sec. Le matin il y a même de la gelée blanche. Ce qui fait qu’on n’a pas toujours très chaud sur les canassons. Si vous avez ce temps-là chez vous, vous serez heureux pour votre travail.
Samedi 30 septembre. Nous partons pour le Luxembourg en ces jours. Envoie-moi un petit colis de beurre. Celui qui t’aime. Fernand.
Lundi 2 Octobre 1939 :Tu me demandes sur ta lettre où nous sommes arrivés maintenant : nous sommes en Lorraine, près de la ligne Maginot. On est camouflé dans un coin tranquille. Hier dimanche, nous avons pu assister à la messe. Il y en avait une à 7 heures pour les militaires. Sur ta lettre tu me dis que Claude n'oublie pas son papa et que Guy n'est pas aussi tranquille qu'auparavant. S'il me voyait il détalerait à toutes jambes. Il ne me reconnaîtrait plus avec le casque sur la tête et le masque à gaz sur le dos. Nous sommes une équipe de 2 vendéens, 4 nantais et un gars du Midi. Tous les soirs nous allons trinquer un verre ensemble au patelin. C'est comme si nous avions toujours vécu ensemble : on ne sort pas les uns sans les autres. On prend le temps comme il vient. Nous ne savons pas ce qui se passe sur la frontière. On parle d'un arrangement entre les puissances. Depuis hier matin la pluie n'arrête pas de tomber. S'il fait ce temps là chez vous, vous n'allez pas être heureux pour les vendanges.
Mardi 3 Octobre :Je réponds à ta lettre reçue hier et qui est partie depuis 7 jours. Tu me disais que tu m'avais envoyé une carte la veille, mais je ne l'ai pas reçu.
Mercredi 4 Octobre :Mon cher Lilitte (un jeune cousin, employé à la ferme), je t’assure que je voudrais bien être à toucher mes bœufs. Tu me dis que vous allez battre le trèfle en ces jours. La récolte sera bonne sans doute, car cette année le temps a été favorable. Vous aurez beaucoup travaillé tous les deux, papa et toi. En tant que conducteur, je suis retourné à l'arrière avec les chevaux dans une grande forêt où l'on est tranquille. C'est comme si on était en villégiature, sauf que c'est la guerre. Chez vous les vendanges sont elles commencées ? Vous allez faire une bonne cave sans doute. J'espère que l'an prochain je serai en forme pour le goûter.
4 Octobre :Ma chère Angèle.Je ne suis plus employé à l'infirmerie vétérinaire. Le brigadier de ma pièce voulait que je retourne avec lui, car il manque de conducteurs et il n'y avait personne pour soigner les deux chevaux qui m’étaient affectés. Aujourd'hui nous sommes partis, à plusieurs chariots, chercher des cailloux aux mines de fer de Hayange. Nous sommes occupés à empierrer ce coin de forêt affreusement sale. Dans ce régiment nous avons peu de repos avec ces canassons, mais c'est quand même mieux que d'être fantassin : nous ne sommes pas autant en danger et puis on ne marche pas à pied. Depuis quelques jours nous n'entendons plus le canon. On sort un peu prendre un verre dans un patelin qui se trouve à 1200 mètres.
Les Bretons avec qui je suis sont toujours gentils ; ils aiment bien le pinard. Si tu voyais ça, le soir : quand la soupe est terminée, les types avec leur bidon sur le dos s’en vont au remplissage au patelin. A leur retour c’est la fête au village. Tout le monde peut en goûter. Pour le reste il ne faut pas trop se plaindre, ce n’est pas pire que les fantassins, car nous n’avons pas à craindre la mitraille. Tu me parles de la nourriture, il n’y a rien de trop fameux, c’est toujours la même chose, de la viande frigorifiée, des nouilles ou des lentilles, ou bien encore du riz, voilà le menu de tous les jours.
Jeudi 5 Octobre :Le copain des Essarts est parti sur une pièce de canon comme brigadier pointeur. Je reste à l'arrière avec les chevaux, où nous sommes 4 conducteurs sur ce canon. Comme je te l’ai dit, il faut, au minimum 8 chevaux pour le tracter. Tous les chevaux du régiment et leurs conducteurs, nous sommes campés dans une forêt assez loin des canons. Le jour on s'occupe des chevaux. On va quelque fois à la chasse avec de gros bâtons. On tue quelques gibiers, car il y en a beaucoup. La nuit nous sommes tranquilles. On couche à la belle étoile. Je voudrais bien que tu m’envoies une paire de chaussettes de laine parce que celles que j'ai ne feront pas tout l'hiver. Mets-moi aussi quelques feuilles de papier et des enveloppes, car il n'est pas facile d'en toucher.
Dimanche 5 Octobre :Tu me dis que les betteraves sont presque toutes rentrées. Vous n'en serez sans doute pas fâchés. Comme ce serait bien si j'avais pu avoir une permission pour la Toussaint : je vous aurais été bien utile. Ici nous ne sommes plus dans les bois. Les chevaux et nous, on est logés dans des bâtiments. C'était bien temps : je crois qu'il ne serait plus resté de chevaux. Nous en avons perdu plusieurs. Nous couchons dans un grenier au dessus de nos chevaux. Les propriétaires du bâtiment sont très gentils. On ne voit que des femmes. Les hommes sont à la guerre. La plus jeune, son fils, vient de partir ce matin. Elles nous donnent à chacun une bonne tasse de café et un casse croûte le matin. Pour le reste, nous menons une vie de nomades.
Samedi 7 Octobre :Je n'ai besoin que d'une paire de chaussettes, car les couvertures ne nous manquent pas : nous nous servons de celles des chevaux. Et puis nous ne sommes pas mal logés : nous avons arrangé une cagnia. A dix, là-dedans, nous somme gîtés comme des lapins. Le soir, nous allons prendre un bock de bière au bourg, à 2 kilomètres. On voit passer quelque fois des avions « boches » mais c'est rare. Ils ne nous tirent pas dessus, et ils sont bombardés par nos canons. Nous avons eu la visite de l'aumônier du régiment. Il viendra chanter la messe dans la forêt demain dimanche et j'espère y aller. Envoie moi avec la paire de chaussettes quelques boites d'allumettes car ici il n'y a pas moyen d'en avoir. J'ai acheté une pipe et ce n’est pas facile pour l'allumer.
Dimanche 8 Octobre :L'aumônier est un ancien combattant de la guerre 14 qu'il a faite comme simple fantassin. Il est curé à Nantes et il a le grade de capitaine. Nous avons chanté des cantiques et l'assistance était nombreuse. Nous sommes toujours tranquilles dans notre forêt. Il est 8 heures du soir. Le vaguemestre arrive, je te fais réponse aussitôt. On va commencer à avoir des permissions, les pères de famille d'abord. Pour une permission il me faut les certificats de vie des petits.
Lundi 9 Octobre :Je reçois deux lettres de toi et une de Pierre, de Salboeuf. Cette lettre a mis 22 jours à me rejoindre. Nous sommes toujours loin des balles et nous avons devant nous une artillerie formidable. On s'est installé ici comme pour y passer le reste de notre vie. Dans la pièce où je suis nous somme dix au total. Nous sommes restés là pour soigner les chevaux : des gars qui ne s'en font pas, mais on pense bien à ceux qu'on a laissés chez soi. On a le caractère encore jeune. Chacun sort une blague et le cafard s'en va.
Mardi 10 Octobre :Le temps est frais, la nuit dernière il est tombé de l’eau sans arrêt, mais notre baraque est bien combinée. Beaucoup de copains ont pris modèle sur la nôtre. Je te quitte pour ce soir, je vais aller me coucher au fond de la baraque. Le sommier n'est pas trop doux. Dans cette forêt, seuls les conducteurs sont là. Les servants sont à plusieurs kilomètres en avant, camouflés avec leurs canons. Chaque pièce est à 25 mètres l'une de l'autre.
Mercredi 11 Octobre :Tu me dis que les vendanges se terminent. Vous avez dû beaucoup travailler, en n’étant rien que vous autres. Tu me dis aussi que Claude et Guy grandissent bien. Quand j'irai en permission, je les trouverai bien changés. Hier j'ai reçu des nouvelles de ma sœur Zélie, elle m'avait envoyé une prière à réciter tous les jours. Ici c'est toujours le même boulot avec nos chevaux. On ne se croirait pas si près de la frontière, car les gens vaquent à leurs occupations ordinaires. Ils sont très gentils envers nous. Il y a tous les jours un mouvement de troupe considérable de toutes sortes de régiments.
Vendredi 12 Octobre :Deux mots pour te remercier des colis que tu m'as envoyés. Je les ai reçus hier avec ta lettre du 4. Tu me demandes si j'ai besoin de quelque chose, seulement une paire de chaussettes de laine. Je me suis acheté une paire de gants de laine, il y a quelques jours, pour 7 francs 50. Nous avons touché une bonne couverture de laine. Tu me dis que vous allez faire une bonne cave, quand j'irai en permission je lui ferai honneur, car ici nous nous mettons la ceinture : un quart par repas, et encore ce n'est pas du vin pur.
|
Dimanche 15 Octobre :Ce matin je suis allé à la messe de 7 heures, chantée en pleine air dans le bois. Il faisait à peu près beau. Maintenant il pleut à plein temps. Dans la forêt où nous sommes c'est une bouillie abominable, les chevaux qui passent tous les jours détrempent tout. On nous dit qu'on va y rester une partie de l'hiver. Pour t'écrire je ne suis pas très bien installé car je suis rentré dans la cagnia et je t'écris sur mon genoux, je n'y vois pas clair.
Mercredi 19 Octobre :la santé, ça va. Dans notre régiment on ne marche pas à pied : tous les déplacements se font à cheval. Nous avons encore bougé l'autre nuit. Avec les chevaux nous sommes partis dans un autre bois, quelques kilomètres plus loin. Je ne sais pas pourquoi. Nous sommes mieux qu'avant, car nous couchons sur le foin dans une autre ferme sur le foin. Nous sommes au sec, et les chevaux sont à 1500 mètres plus loin dans le bois. Nous n'allons pas à la ferme dans la journée, mais seulement le soir pour y dormir. Le jour il nous est complètement interdit de sortir, sauf pour conduire les chevaux à l'abreuvoir à quelques kilomètres d'ici. Au moment où je t'écris, il pleut à plein temps et je suis rentré sous un chariot de foin pour y écrire au sec. Tu me parles de permission : il ne faut pas y compter pour tout de suite. Monsieur Daladier a autorisé les cultivateurs à aller en permission agricole, jusqu'à 50 % de l'effectif. Mais moi je suis trop loin et, pour eux, il n'y a pas assez longtemps que je suis parti. Pour les colis, tu as le droit d'envoyer un colis de 2 kilos gratuitement par mois. Quand cela te fera plaisir de m’adresser un colis de beurre, tu le feras, car ma boite commence à diminuer. Tous les matins en prenant un quart de jus, je mange une tartine de beurre et cela fait quand même du bien. Jusqu'à maintenant on pouvait se ravitailler dans les patelins, mais là nous sommes coffrés dans les forêts. Pour ma valise qui est restée à Vannes, je ne peux te renseigner davantage, j'avais mis une étiquette sur la poignée et mon adresse, au crayon, de chaque côté.
Vendredi 20 Octobre :Je te remercie du colis. Maintenant je pourrai changer de chaussettes et allumer ma pipe. Tu m'as acheté un superbe briquet qui fait l'admiration des copains. Tu me dis qu'il ne faut pas que je fume trop : je ne fais pas d'excès, seulement un paquet de tabac par semaine. Il faut bien faire quelque chose pour se distraire : cette nuit j'étais de garde d'écurie, j'ai bourré 2 fois la pipe pendant mes deux heures de faction. Ainsi on trouve le temps moins long. Il tombe de l'eau tous les jours. Si c'est ainsi chez vous, vous ne serez pas à l'aise pour les semailles. Tu diras au papa qu'il prenne mes bottes de caoutchouc pour semer : elles sont restées sur la lieuse, je crois. Ici le secteur est calme.
Samedi 21 Octobre :Ma chère Angèle, tu me dis que tu as le cafard, je n'en doute pas… Va voir des amies qui sont comme toi et tu verras que ça ira mieux. Tu me dis aussi sur ta lettre que vous travaillez dur et que le papa est très fatigué. Vous pouvez ne pas labourer pour cette Toussaint, mais attendre un peu. Mais si cela continue, il vous faudra réduire le nombre de bétail, et mettre les champs en norain (prairie). Merci pour la photo de Guy.
Tous les jours on fait du cheval pour les conduire à l'abreuvoir, à 2 kilomètres.
Dimanche 22 Octobre :J'ai reçu hier une lettre de toi avec ta photo ainsi que celle des petits. Je suis bien content de vous voir tous trois ensembles. Comme ça j'aurai la joie de vous regarder souvent. Je n'aurai pas le bonheur de faire la même chose pour vous, car les kodaks sont interdits. Depuis hier je suis garde d'écurie à l'infirmerie des chevaux : une dizaine qui sont à l'abri dans une écurie à la ferme où nous dormons. Nous sommes deux hommes pour nous occuper de ces chevaux. Nous couchons dans l'écurie, à côté des chevaux. Nous y restons jour et nuit sans beaucoup de distractions, mais nous sommes à l'abri et nous n'allons pas dans la boue.
Mardi 24 Octobre : A l'infirmerie vétérinaire, nous avons 12 chevaux à soigner et désormais nous sommes 3 pour le faire. Pour nous ce n'est pas la guerre. On entend gronder les canons au loin. Ici il pleut tous les jours, nous sortons juste pour l'abreuvoir et présenter les chevaux au lieutenant vétérinaire qui vient les visiter une fois par jour.
26 Octobre :C'est toujours la pluie et en même temps c'est froid. Cela ne vaut pas notre Vendée. Enfin nous ne couchons pas dehors. Je suis toujours occupé à soigner les chevaux malades. Je couche à côté d'eux et les deux copains aussi. La nuit on ferme les portes et on dort tranquillement dans la paille. Mais il arrive qu’un cheval se détache ou se cogne. Alors il faut se lever, et lui passer une bonne correction. Chez vous, les betteraves sont elles rentrées ? La main d’œuvre à dû vous manquer et le terrain doit être bien détrempé. A la ferme où nous sommes des militaires sont désignés tous les jours pour aider les cultivateurs. Certains rentrent les betteraves, d'autres font le battage avec un petit matériel qui est toujours à l'abri. Nous sommes dans une belle ferme de 100 hectares.
29 Octobre :Tu vas peut être avoir deux lettres le même jour mais c'est urgent en vue du certificat de vie des enfants. Tu iras à la mairie, tu demanderas un certificat avec la date de naissance et l'âge. Nous sommes dans la Moselle près d'un camp. On dit que notre division va descendre en repos.
31 Octobre :Le secteur est toujours calme, la température est basse mais il ne tombe plus de neige. Cet après midi nous avons la visite du général, il faut astiquer les harnais.
7 Novembre1939 : Ma bien chère Angèle, ce matin j'ai reçu ton colis, je t'en remercie infiniment. Désormais, je pourrai manger une tartine de beurre tous les matins. Nous sommes dans un bourg où l'on peut se tenir propre, car l'on est toujours au sec. Demain je vais faire la lessive. Les femmes où nous sommes nous donnent de l'eau chaude, elles font sécher notre linge et le repassent. Nous sommes très bien vus par les gens du pays.
8 Novembre :Je viens de recevoir le certificat de vie des petits, je vais le porter au bureau. Je t'envoie une deuxième lettre aujourd'hui pour le cas où la première viendrait à s'égarer. Je termine, car c'est l'heure de faire un peu de pansage pour les chevaux. De plus maintenant que nous sommes dans un bourg, il faut que tout soit bien propre. Depuis hier nous avons changé d’adjudant : c’est un gars de carrière.
10 Novembre :A la maison où ma pièce est campée, nous ne sommes pas mal vus par les deux femmes qui sont là. Nous rentrons manger dans leur cuisine. Elles lavent nos gamelles à tous les repas. Hier elles nous ont donné un grand pot de confiture. A tous les repas nous en prenons une petite portion comme dessert. Nous sommes 7 conducteurs dans cette pièce. Tous les soirs nous allons prendre un coup de bière au bistro, ce n’est point ce qui fait gonfler le porte monnaie. Tu me dis que vous avez du nouveau personnel, les cousins, Lilitte et Marie. Tant mieux, ainsi vous serez moins pris, et puis ce sont des jeunes, ce sera plus gai.
12 novembre :Hier 11 novembre, nous avons eu un bon déjeuner avec en entrée du pâté, ensuite bifteck salade et pommes de terre frites, un demi litre de rouge chacun et un demi litre de café. Malheureusement ça ne continuera pas ainsi. Aujourd'hui, dimanche réveil à 5h15 heure soleil, pansage des animaux, abreuvoir, messe à 8h, 8h45 douche. On ne s'ennuie pas. Si on est moins tranquille que dans l'infanterie, on est moins au danger. J'ai entendu parler de permission. Désormais ce ne sera pas long pour aller faire un tour au pays. Depuis quelques jours il fait beau. Nous avons eu la visite de quelques avions » boches ». On ne les a pas encore vus tirer.
15 Novembre :Tu me dis que vous n'avez pas fini d'emblaver et que le papa est bien fatigué. Je n'en doute pas, car c'est vraiment trop fort pour son âge. Tu me dis que j'aurais bien été utile là bas pour la charrue et les labours. S'ils m'avaient envoyé en permission à partir du 15 comme ils disaient, j'aurai pu vous donner un coup de main. Maintenant les permissions sont arrêtés et je ne sais pas pourquoi. Notre brigadier de pièce est parti, soit disant parce qu'il est monté en grade. Je suis désigné pour le remplace à la pièce. Je ne me tracasse pas, je sais ce que je dois faire, et je ne veux pas faire de zèle. Mais enfin l'adjudant m'a désigné pour cet emploi, alors je le fais. Tu me dis que le petit Guy commence à marcher en le tenant par la main. J'en suis bien content. J'espère que quand j'irai en permission je le verrai courir tout seul dans la maison. J'espère aussi que Claude continue à bien grandir. Vivement une permission pour aller vivre avec vous tous ces moments.
17 Novembre :Maintenant que les semences sont terminées, vous êtes sans doute plus tranquilles. A l’heure qu'il est je vais à la soupe, car les copains arrivent avec leur plat.
19 Novembre :Nous avons reçu un ordre de partir immédiatement, je ne pourrai sans doute par t'écrire demain. Je te raconterai l'itinéraire de notre voyage dès que je pourrai.
20 Novembre :Contrairement à ce que je t'avais annoncé hier nous ne sommes pas partis. Nous avons été tenus en alerte tout l'après midi, avec les chevaux équipés et les paquetages tout prêts. Nous avons attendu sur la route toute la soirée, jusqu'à 8 heures. Finalement on a reçu l'ordre de rester. Nous avons retourné les chevaux à l'écurie, nous nous sommes couchés. Encore heureux, car toute la nuit il est tombé de l'eau avec un vent abominable. On nous dit qu'on va rester dans ce patelin quelques semaines. Aujourd'hui dimanche j'ai assisté encore à la messe de 8 heures qui était spécialement pour les militaires. On y assiste toujours avec le même entrain et on chante des cantiques à tue tête. A la sortie de la messe j'ai pu causer à Genais, de la Coussais, et dont je t'avais parlé. S'il part en permission avant moi, il ira vous voir à la Turpinière. J'espère que les petits continuent toujours à grandir.
Mercredi 22 Novembre :Je pense aller prochainement en permission, car l'attaque prévue n'a pas eu lieu. Dans le patelin où nous sommes, on trouve tout ce que l'on veut, il y a aussi un foyer de soldats. J’y vais avec plusieurs, on prend une tasse de chocolat bien chaud pour 12 sous, ça nous fait du bien. Si seulement on pouvait y rester jusqu'à la classe !
Angèle, Guy & Claude
23 Novembre :Hier j'ai envoyé une carte au petit Claude. J’espère qu'il l'aura bien reçu et qu'il sera content. Nous sommes encore assez loin des lignes. Ils pourraient encore envoyer d'autres régiments depuis le centre, pour nous remplacer, car voici un moment que nous somme là haut. Il ne faut pas chercher à comprendre. Tu trouveras peut être bizarre que je t'écris tantôt à l'encre et tantôt au crayon. Mais je ne veux pas m’embarrasser d'un encrier et quand je veux écrire à l'encre il y a toujours un copain qui me prête un stylo.
Jeudi 24 Novembre :La température a changé, c'est un temps sec avec de la gelée tous les matins. Tu peux bien encore m'envoyer un colis de beurre, car je ne partirai probablement pas en permission avant Noël. Je suis toujours bien occupé avec ces canassons. Je t'envoie une photo avec les gars de ma pièce ainsi qu'avec quelques uns de nos chevaux et j'ai la pipe à la bouche.
26 Novembre :Nous avons changé de patelin : nous sommes partis, à 18 conducteurs, avec les chevaux pour sortir les canons et les transporter plus loin car notre batterie devient une batterie volante.Il fait froid, heureusement que l'on couche à l'abri dans les granges. Chez vous maintenant que les emblavures sont terminées, vous serez moins bousculés. Si comme tu le dis le commerce a repris vous pourrez vous débarrasser de quelques pièces de bêtes, cela vous soulagera.
27 Novembre : Je suis retourné vers les pièces de canon, en changeant de lieu. J’ai retrouvé les anciens copains, les servants qui étaient là-bas depuis six semaines. Ils en ont fait du travail : les canons sont camouflés et il faut bien tomber pour les voir. L’on s’attend à les transporter d’un jour à l’autre, mais peut-être qu’on ne bougera pas. Au patelin où nous sommes il y a un foyer du soldat. On va y faire une partie de cartes en buvant une tasse de chocolat ou une bière : ça nous distrait. J’aimerais tellement mieux être à la maison à faire une partie de cartes le soir et boire un coup de cette gnaule que tu me dis que tu es allée la chercher l’autre jour. Je suis ravi que les enfants vont bien et qu’il soit si mignon comme tu me le dis : cela au moins ça remonte le moral. Pour moi il est toujours bon.
29 Novembre : Tu me disais que tu étais inquiète car je t’avais annoncé un déplacement. C’est vrai que nous sommes plus près de la frontière, mais il y a encore de nombreux régiments devant nous. Nos pièces n’ont jamais tiré. Les « Boches » ne sont pas près d’arriver jusqu’à nous, avec toutes les fortifications : je crois que c’est infranchissable. J’en ai plus que mon content de cette comédie-là. Espérons que ça se terminera plus vite que l’on s’y attend. Ah quelle joie quand ce jour arrivera pour tous. Pauvre petit Claude qui se demande ce que cela veut dire. Bien sûr qu’il ne comprend pas. Dis-lui que j’irai le voir bientôt. La permission n’est pas loin.
1 Décembre 1939 : Ma chère Angèle : Réponse à tes lettres du 26 que j’ai reçues hier soir. Nous étions très occupés. Il a fallu transporter les canons. Ils étaient là depuis deux mois. C’est tout un fourbi chaque fois. Nous sommes partis à 5 heures du soir et nous sommes rentrés, conducteurs et chevaux vers minuit. Les servants restent avec leurs pièces au nouveau cantonnement. Nous les conducteurs, nous sommes loin derrière les pièces. Je ne peux te dire où, car c’est secret. Je te raconterai tout ça bientôt quand j’irai en permission, peut être pour Noël.
2 Décembre :Mon cher petit Claude. Réponse à ta gentille petite lettre. Très heureux en la recevant. Je vois que malgré que tu n’as pas commencé d’aller à l’école, tu écris comme un grand. C’est très bien. Continue à faire ta petite prière comme tu me dis et tu verras que j’irai te rejoindre bientôt. Sois aussi mignon envers ton petit frère.
5 Décembre :Mes biens chers beaux parents. J’ai beaucoup voyagé mais je suis encore loin des lignes ennemies. Car c’est un régiment d’artillerie lourde. Ce n’est pas pire que l’infanterie.
6 Décembre :Ma bien chère Angèle. Réponse à ta lettre du 30 et du 1 décembre reçue aujourd’hui. Ton colis de beurre est arrivé, la boîte ne fera pas longtemps. Quand il n’y en aura plus, je te le ferai savoir, mais peut être que mon tour de permission sera venu. Nous devons descendre au repos, et même assez loin, car il faudra embarquer par le train. Ce sera de là que nous irons en permission. L’infanterie marche devant nous. Ils sont partis depuis 2 jours. Tu me dis que le régiment de Luçon n’est plus en Vendée. C’est peut être lui qui va nous remplacer. Par un repas amélioré nous avons fêté la Sainte Barbe, patronne des artilleurs. A la maison où nous couchons, ils ont fait de la goutte, alors ce soir nous en goûtons chacun un petit verre. Les gens sont bien aimables avec nous.
9 Décembre :Mon cher petit Claude, Réponse à ta petite lettre que tu as bien voulu joindre à celle de ta maman. Tu voudras bien embrasser aussi le petit Guy pour moi, ainsi que maman, grand père et grand père, de même que Marie et Lilitte.
Ma bien chère Angèle. Tu me demandes si je suis au danger. Non, c’est très calme, nous sommes dans un petit village. Les gens sont tous là, ils ont leur travail de tous les jours comme si tout allait bien. Il y a un détachement d’infanterie au repos dans le même village. Dans le patelin, il y a un café et un foyer du soldat. Tous les jours je vais prendre quelques tasses de chocolat chaud. Pour les avions dont tu me parles il y a longtemps que je n’en ai pas vu. Une contrariété c’est que notre régiment ne va pas descendre en repos. Il va rester en position. Nous couchons, tous les conducteurs, dans un petit grenier sur de la paille fraîche. Cela ne vaut pas un bon sommier, mais il ne fait pas froid et les gens de la maison sont très gentils. Quand on veut écrire on rentre dans la cuisine, et là on est au chaud. Quelquefois on reste à faire la veillée avec eux. Il y a un garçon de 18 ans. Il aime bien jouer aux cartes. Alors pour lui faire plaisir on reste avec lui.
11 Décembre :Tu me dis que papa et Lilitte ont bien du travail pour soigner les bêtes. Avec une bande comme vous avez, c’est beaucoup de travail pour 2 hommes. Vous devriez embaucher quelqu’un, car on n’est pas près de revenir.
13 Décembre :Je reçois ta lettre du 8 à l’instant. Demain soir nous allons sans doute déménager et descendre au repos vers la Meurtre et Moselle. Nous allons voyager toute la nuit. Encore heureux que ce n’est pas à pied. Ce n’est pas drôle avec tous ces chevaux et canons, et tout le matériel qui doit suivre. On dirait un cirque.
15 Décembre :Maintenant nous sommes descendus au repos comme je te l’avais annoncé. On n’a pas dormi ces deux dernières nuits, car les déplacements se font toujours de nuit. Nous avons fait une étape hier et nous sommes arrivés à destination à 8 heures ce matin. Certains disent qu’on va y rester un mois.
16 Décembre : Tu me dis que tu ne reçois pas si bien mes lettres. Cela ne m’étonne pas : de temps en temps des lettres sont décachetées pour voir s’il y a des affaires concernant notre situation militaire. Pourtant je n’indique pas où l’on est. Maintenant nous sommes tous réunis, servants et conducteurs, comme au départ. Il fait froid, je ne quitte plus mon passe-montagne, mais, pour le couchage, on a de la paille à volonté et on s’entend tous très bien. Une grosse bise aux enfants ainsi qu’à toute la maisonnée.
AU RETOUR de PERMISSION fin 1939 :
6 Janvier 1940 : J’ai rejoins mes copains hier matin. On était heureux de se revoir. Eux, ils en ont vu de rudes pendant 5 jours. Ils ont monté les canons en ligne, en pleine nuit et sous la neige. Les chevaux se cramponnaient et ne tenaient pas debout. Maintenant on est descendu à 10 kilomètres plus bas avec les chevaux. Dans une grande ferme, comme au repos. Il va falloir encore coucher sur la paille en plein hiver. Il ne faut pas se faire du souci pour moi, car tu sais que je suis maintenant avec mes copains et on ne s’en fait pas, tous ensemble. Tu auras reçu la carte que je t’ai envoyée hier, à mon arrivée à la dernière gare.
7 Janvier : En ce deuxième jour de mon arrivée, un petit moment avec toi. J’ai commencé le pansage (des chevaux) et pris du temps pour les abreuvoirs. On s’ennuie plutôt, en pensant à tout le boulot que vous avez à la maison. Et moi qui suis là à ne rien foutre, ça me fait ronchonner. Maintenant mon cafard est passé et il y a toujours les copains. Le soir on remplit nos bidons dans une coopérative à deux kilomètres. Les gars sont en gaité. Il fait un peu froid, mais enfin la paille ne manque pas pour se coucher. Je n’ai pas encore vu d’avions depuis que je suis arrivé. On ne se croirait pas si près de la frontières. Par contre nous entendons les canons d’où nous sommes, ça bombarde drôlement, ça tire sans arrêt, et les fantassins qui se trouvent devant nous ne doivent pas dormir tranquille. Le rhume que j’avais en partant est complètement disparu. Dormir sur la paille pour un rhume vaut mieux que toutes les bouteilles de drogue du docteur Duclercq (médecin de la Flocellière).
14 Janvier : Réponse à ta lettre du 7 reçue hier. C’était la 5ème, j’en suis bien content d’en recevoir tous les jours. A mon arrivée de permission je suis descendu à la gare la plus proche de nos pièces. J’ai dit bonjour au capitaine. De là je suis parti rejoindre les conducteurs avec le vaguemestre qui allait chercher les lettres. Ici nous sommes les premiers de la première réserve à monter en ligne. Tout ce qu’il y a à craindre, ce serait les raids aériens mais on n’en voit très peu. Les canons tonnent horriblement. Je voudrais que tu m’envoies une paire de sabots de bois. J’endure de froid tous les jours dans ces fameux brodequins. Mets moi aussi une serviette de toilette. Excuse-moi si je t’écris encore au crayon, mais je n’ai plus d’encre et je ne suis pas sorti dans le patelin ces derniers jours.
17 Janvier :Il fait toujours très froid. Aujourd’hui il tombe de la neige à plein temps. A présent c’est calme. Il y a une huitaine de jours on bombardait à tour de bras. Les Boches n’ont pas répondu. Les conducteurs, nous ne sortons plus de la ferme, sauf le soir pour aller prendre un verre dans un petit patelin un peu plus loin. Le ravitaillement se fait tout par camion à la ferme où nous sommes. C’est à une quinzaine de kilomètres de la ville de Metz.
18 Janvier : Il fait toujours très froid, la terre est couverte de neige et je suis encore à l’infirmerie, malgré que je ne sois plus malade, seulement un peu enrhumé. Le major m’a ordonné du repos. Du matin au soir je suis dans la salle d’attente nous sommes là une vingtaine, ça discute beaucoup, il y a les allants et venants qui viennent prendre leur ticket au guichet pour le train. Cela nous distrait.
19 Janvier :Tous ces jours il y avait du verglas. Maintenant on n’est pas logé confortablement, car on mange et on dort dans le toit aux cochons qui ne nous laissent pas dormir tranquilles le matin : il y en a une douzaine qui font un vacarme du diable. Entre copains on prend quand même de bonnes bosses de rires. La ferme où nous sommes n’a pas été évacuée c’est le moment du battage du blé il y en a encore pour plusieurs jours dans cette grande ferme de 180 hectares. Je t’assure que ce sera une bonne récolte. Je ne t’écris pas à l’encre car mon stylo est vide.
.20 Janvier : Après 10 jours à l’infirmerie, je retourne à la ferme ce soir où je vais retrouver mes copains. Maintenant je suis bien d’aplomb, j’avais eu des ventouses deux fois par jour. A présent ça va gazer. La température extérieure est toujours très basse : 22 degrés au dessous de zéro et il y a toujours de la neige. Ca glisse, c’est tout juste si on peut tenir debout. Le pain et la boisson sont gelés. Enfin, qu’est ce que tu veux, c’est la guerre. Et puis j’ai toujours confiance dans la Providence. Notre batterie, vu qu’elle a déjà été engagée il y a quelques mois, sera la dernière à monter au danger. Pour les sabots que tu me dis que tu m’as envoyés, dès que je les aurai reçus, je te le ferai savoir. Dans mes brodequins j’ai toujours froid aux pieds.
22 Janvier : J’ai reçu le colis de sabots. Je t’en remercie. La température ne change pas et il commence à y avoir une bonne épaisseur de neige. S’il fait aussi froid chez vous, les choux seront sans doute tous gelés. La semaine dernière, le patron de la ferme où nous sommes a mis le thermomètre dehors une nuit : il était descendu à moins 32. Pour le boulot, on se lève à 7h30, quelquefois à 8 heures, on prend son quart de jus et on va faire le pansage pendant 1 heure environ, ensuite l’abreuvoir. Puis l’on retourne bien vite à l’abri. Si tu voyais comme c’est confortable ! Notre salle, c’est toujours le toit à cochons, il y a un couloir au milieu. On reste là debout, on mange sur les murs de chaque côté, nous y sommes là une quinzaine. On ne s’en fait pas, on discute dur. Quand les cochons s’en mêlent et il y en a 45, alors tout ce monde se met à gueuler comme dans un grand champ de foire … à cochons.
24 Janvier :Je viens de recevoir à l’instant tes 3 lettres du 19, 20 et 21. Pour le couchage ma chambre est toujours la même, ça ne sent point la rose mais il n’y fait pas froid. Cette semaine nous avons touché une couverture : cela m’en fait 3 et la paille ne manque pas. On est bien serré les uns auprès des autres : du coup on ne sent pas le courant d’air. Tu me demandes si les paysans de la ferme sont gentils. Ils ne parlent pas le français sauf deux domestiques qui le parlent un peu. Tu peux m’envoyer un colis de « bectance » car la popote n’est pas des meilleures.
28 Janvier : Tu me demandes combien de temps je suis resté à l’infirmerie. Exactement 10 jours. Après mon retour j’ai passé 5 jours à la ferme. Tu me demandes aussi comment ce rhume a commencé. Eh bien voilà : quand je suis parti de la Turpinière, j’étais un peu enrhumé, j’ai passé 2 nuits sans dormir ou presque, les 3 jours suivants le rhume était presque passé. Et puis un beau matin en me réveillant dans le grenier où l’on dormait, j’étais gelé. A l’infirmerie j’ai pris une bouteille de sirop et j’ai eu des ventouses tous les jours. Nous étions couchés sur des brancards avec un gros poêle dans la carrée qui chauffait à bloc.
29 Janvier :Mon cher petit Claude, Je n’ai point reçu de tes nouvelles ces derniers temps, j’espère que le petit tricycle roule toujours bien, malgré que ce n’est pas un temps pour faire du vélo. Tu sais que j’ai attrapé la grippe. Ta maman m’a dit que tu faisais bien ta prière pour moi et maintenant je suis guéri. Tu vas sans doute aider grand père dans les écuries, ça le distraira, et grand-mère assise à la maison.
Ma bien chère Angèle. Hier dimanche j’ai assisté à la messe, chantée par l’aumônier du régiment. Il vient tous les dimanches à la ferme : nous n’avons point d’église, ni de chapelle mais tout simplement une écurie avec un petit autel que l’on monte provisoirement à son arrivée. Enfin nos prières seront exaucées sans doute, comme si c’était dans une magnifique cathédrale.
31 Janvier :Je suis complètement rétablie, il fait toujours très froid, les routes étaient comme de véritables glaciaires, il a neigé toute la journée et on ne sort pas de la ferme, on n’a pas de distraction, on est aux écuries aussitôt le boulot terminé, on rentre dans notre toit à cochons, c’est là qu’il fait encore le meilleur, on n’a pas de poêle pour se réchauffer mais le toit est bien clos, et puis la température du fumier de ces bêtes là, nous réchauffe . Cette semaine j’ai fait une lessive, mais je ne sais pas quand ça va sécher, c’était à peine fini de laver que c’était déjà gelé, et c’est resté tel quel. Il y a une batterie de notre groupe, c'est-à-dire 4 pièces qui sont montées en première ligne. Elles doivent tirer pendant une huitaine de jours mais nous, nous ne bougeons pas. Tu me dis que c’est bien triste des couchages dans des conditions pareilles, mais il y en a un peu partout dans la ferme, dans le toit aux vaches, d’autres dans des petits toits par ci par là. Chacun se débrouille comme il peut. Nous sommes 60 au total.
2 Février 1940 : Depuis le jour du mardi gras, je suis employé à la cuisine, je ne suis pas plus tranquille qu’avec les chevaux, mais, voilà, les repas sont meilleurs. Je ne sais pas si j’y resterai longtemps, car je suis en remplacement d’un cuistot qui est à l’infirmerie. Si nous partons un de ces jours et comme il manque de conducteur, il y a des chances que je n’y reste pas.
Tu me dis que le papa a vendu le cheval et la pouliche. Il a bien fait. S’il achète une autre jument, qu’il prenne plutôt une poulinière, car en cas de réquisition, comme cela se fait maintenant en Bretagne, il n’aura pas d’ennuis.
Je suis heureux que les petits grandissent bien. Le petit Guy va être heureux de pouvoir marcher tout seul. Avant-hier j’ai écrit à Claude. Cette semaine tu auras un peu moins de nouvelles, car je ne t’ai écrit qu’à demi les jours.
3 Février: Ma bien chère Angèle, J’ai bien reçu ton colis complet. Ici il y a encore pas mal de neige mais ça glisse moins. On a pu faire des sorties à cheval, et on se distrait davantage, après tous ces jours enfermés dans ces bâtiments. On va faire quelques étapes avant d’embarquer et d’aller assez loin à l’intérieur, car nous allons changer de modèle de canon, le 105 je crois. Ce n’est sans doute pas pour terminer la guerre dans ces premiers jours.
6 Février : Tous les jours la neige fond, et cela fait beaucoup d’eau. Merci pour le colis de gauffres que j’ai bien reçu.
8 Février : Mon cher petit Claude, Hier j’ai reçu une lettre de ta maman avec la tienne. Tu fais bien ta petite prière avec aussi le petit Guy qui comprendra quand il sera plus grand.
12 Février : Ma bien chère Angèle. Nous sommes toujours à la même ferme, notre départ a été repoussé. J’aurai peut être une autre permission dans les premiers jours d’Avril.
15 Février :Pour Claude tu me demandes ce que j’en pense au sujet de l’école. Il serait bien en âge d’y aller mais, vu la distance à faire à pied, je ne peux me prononcer là-dessus, tu feras ce que bon te semblera. Tu me disais que dimanche tu étais de garde toute seule avec les deux petits et que le temps te paraissait bien long, je n’en doute pas. Je te dis aussi qu’il y a bien des moments de cafard, et depuis une huitaine de jours je suis à la cuisine avec une équipe de bons loustics. Pour le moment nous sommes tranquilles, bien que notre division soit en ligne. Notre artillerie bombarde à tour de bras. Si le temps se radoucit, vous pourrez finir de ramasser les choux en Vendée.
21 Février :Cette journée me paraît sérieusement longue, on ne sait quoi faire et il a fait un temps superbe : il n’y a aucune distraction. Dire que si j’étais auprès de toi par un si beau temps, on pourrait aller se promener avec la petite famille. Enfin je ne suis pas le seul, pour tous les copains qui sont avec moi c’est la même chose, et nous ne sommes pas au danger. L’alerte que nous avions depuis une huitaine de jours s’est calmée : on a déchargé tout le barda que nous avions eu de la peine à charger l’autre jour. Les permissions ne sont pas reprises. Ma bien aimée, j’ai bien reçu ton charmant colis qui m’a bien fait plaisir, je te remercie de toutes ces bonnes choses que tu as bien voulu m’envoyer. J’ai goûté au bon beurre frais, ça change de toute cette barbaque que l’on nous sert aux repas. Vous avez mis des bêtes dans le pré du marais, ça doit bien vous débarrasser et, maintenant que le beau temps est revenu, vous pouvez en mettre encore plus. Le papa aura déjà assez à faire avec les bêtes à soigner dans l’écurie.
(Image: le prisonnier de guerre, Fernand B.)